Eden
photo: Pierre et Gilles
C'est
sur la pointe des pieds que je pénétrai ce soir dans ce parc . Sur la
pointe que je m'avançai doucement, effleurant au passage l'herbe
humide, écrasée sous le poids d'un corps de passage. Et dans le froid
douloureux d'un jour décalé, on pouvait apercevoir au loin les branches
d'un grand saule, effacées à leurs pointes par la brume. À son pied
déraciné, affaibli dans la terre poudreuse, gisait un papier, déchiré à
sa fin...
Je pus lire à voix douce:
"Crue
fut la lumière de la lune en ce soir de Novembre. Scintillantes les
étoiles dans le ciel noir. Le néant prêt à m'accueillir se dilate tout
entier, en son centre il me semble voir la percée blanche, éblouissante
et brillante, ainsi que les contes de mon enfance m'en dessinaient les
contours. Autour de moi flotte le parfum d'une femme, sainte au coeur
disparu il y a bien des années, que je m'en vais rejoindre par ce trou
distendu. Si vous lisez ces mots, voyez mes membres flotter à leur
tour, alentour n'entendez plus un murmure puisque tout s'est tu ce
soir, puisque rien ne vit que la légère danse des brins d'herbe qui se
courbent sous le poids de l'être approchant. Rendez-moi l'hommage que
l'on réserve aux Dieux, rien qu'un instant, que je puisse pleurer à
l'écho de vos voix qui se meurent de chagrin, être l'unique parmi des
milliers. Gardez un rayon de chaleur tout au bord du soleil de votre
vie, que j'y songe parfois, m'y couchant sereinement comme un corps
s'allonge pour veiller. C'est en pas de danse saccadés que j'expirerai
ce soir le dernier souffle, les yeux blancs de douleur à la vue de
votre corps à l'approche, le remord bouffant sur l'extrêmité de mon
âme. Mais c'est serein que je tirerai la corde ouvrant la porte, pour
dernier voyage l'ascenceur de la vie, j'y verrai défiler les images
d'un passé qui n'est plus, passé d'ombres et souvenirs crucifiés.Déjà
les branches du grand saule s'écartent ainsi que mon corps qui décolle.
J'entrevois..."
Les lignes dansent et le papier vole, je ne remarque même plus tomber la pluie. L'arbre toujours déraciné semble me sourire, mes pieds collés au sol, chancèlent, aspirés par le noyau de cette terre, ferme.